Lettres contre la guerre, de Tiziano Terzani

Avec Lettres contre la guerre, Tiziano Terzani nous offre un autre regard sur la guerre à laquelle nous assistons depuis un peu plus d’une décennie. Les lettres qui font partie de ce recueil ont été écrites juste après les attentats du 11 septembre. Il est étrange de les lire quinze années plus tard, grâce à leur réédition chez Intervalles. Elles apparaissent en effet aujourd’hui comme un présage que l’on aurait pas écouté. Mais de quoi il est question exactement ?

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source : pixabay @tpsdave

Son auteur est un amoureux du monde, des gens, des civilisations : il connaît bien celles de l’Inde, des terres d’Islam, et celles de l’Occident bien sûr puisqu’il est italien, réfugié depuis plusieurs années en Orient, où il s’est retiré pour méditer sur la vie, après une longue et très importante carrière de journaliste. Ces lettres sont la réponse faite à

a la journaliste italienne Oriana Fallaci publie un article puis un livre intitulés La Rage et l’orgueil, dans lesquels cette grande figure progressiste italienne s’en prend au monde musulman dans son ensemble. Les musulmans y sont comparés à de « nouveaux croisés » et les imams à des « guides spirituels du terrorisme » dont les mosquées « grouillent jusqu’à la nausée de terroristes ou d’aspirants terroristes ».

Les mots de cet article d’Oriana Fallaci ne cesseront de hanter les médias et les esprits, convaincus du bien fondés d’affirmations aussi abruptes que non réfléchies. Si l’Occident avait besoin d’un bouc-émissaire, c’est en 2001 qu’il l’a trouvé. Si l’Occident avait besoin d’asseoir davantage sa puissance par les armes, de faire prospérer ce commerce et de montrer sa domination par l’argent, c’est peut-être le 11 septembre 2001 qu’il en a trouvé le moyen le plus pérenne.

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Nous sommes bien loin des théories du complot, ou des contre-théories d’ailleurs. Tiziano Terzani ne se contente que de pointer du doigt ce qui apparaît comme plutôt évident, mais qui échappe à la plupart d’entre nous, manipulés que nous sommes par les médias. Il nous rappelle par exemple que bien avant l’Irak, bien avant l’attentat du World Trade Center, les Etats-Unis n’ont pas hésité à se servir de l’Afghanistan pour y installer des bases militaires de toutes sortes. L’Orient est truffé de ces bases censées peut-être rappeler aux populations que l’Occident est puissant, possède de l’argent, et qu’une autre sorte de colonisation perdure encore aujourd’hui.

Depuis 2001, on nous parle de guerres propres : quelles guerres le sont ? Comment une guerre où l’on balance des missiles dont la fabrication a coûté des millions de dollars pourrait-elle être propre, autrement dit, ne pas faire de victimes civiles comme on l’a prétendu du temps de Saddam Hussein ? Encore aujourd’hui, on envoie des avions en Syrie pour bombarder des bases d’entraînement de façon « très ciblée », en réponse à un attentat qui a fait 130 morts à Paris. Quinze ans plus tard, rien n’a changé. On répond à la violence par la violence, et elle ne cessera d’escalader des degrés qui nous dépasseront très bientôt…

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Nul doute que nous ne sommes plus dans un système de guerres de tranchées, où les munitions sont à peu près équivalentes des deux côtés. Qui du terrorisme ou de la guerre à bombardements est né le premier ? La réponse semble bien évidente.

« Il ne s’agit ni de justifier ni de condamner, mais de comprendre. Comprendre, parce que je suis convaincu que le problème du terrorisme ne se résoudra pas en tuant les terroristes, mais en éliminant les raisons qui les rendent tels. »

Il s’agit plutôt d’en trouver la cause, les fondements. Peut-être que nous devons nous tourner vers nous-mêmes pour trouver la réponse.Le livre de Tiziano Terzani a peut-être cette limite que ce terrorisme en question a évolué. Il parle dans son livre de terroriste fanatiques, très religieux, menant une vie d’ascète, dans le respect de la religion et l’interdiction de la drogue et de l’alcool. En somme,  les terroristes dont il parle, seraient nés d’un sentiment continu de persécution de l’Occident sur l’Orient, cultivaient le dogme du sacrifice pour une cause qui leur semblait juste : la religion, la patrie, la vengeance des morts sous les bombardements depuis la guerre froide. On l’a vu cette année, il semble que les terroristes d’aujourd’hui soient un tant soit peu différents… et fondent davantage leurs actions sur l’inspiration de la terreur par les armes. Il parle également d’une réponse terroriste (la guerre du pauvre) à un guerre bling bling menée pour confirmer la domination du capitalisme sur les populations de l’Orient. Le livre atteint peut-être sa limite ici, dans cette non perception d’un changement qui nous échappe, et auquel il faudra, une fois encore, trouver la cause.

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« Tant que l’homme ne se mettra pas de son plein gré à la dernière place parmi les autres créatures sur la terre, il n’y aura pas de salut pour lui. » Gandhi

Aucune grande puissance ne se dirige pour le moment vers une réponse pacifiste et éthique. Chaque réponse donnée (bombarder, tuer, fermer les frontières) ne fait que renforcer un repli communautaire de l’autre côté de la barrière. Plus les replis mutuels se durciront, plus la confrontation sera rude.

Un passage m’a marquée dans ce livre parce qu’il semble faire écho à plein d’autres choses. L’auteur parle de cette utopie évoquée à maintes reprises à travers les derniers siècles, à laquelle peu réfléchissent vraiment : lorsqu’on propose de supprimer les armes existantes et de cesser d’en fabriquer d’autres (et c’est mal parti puisque plusieurs Etats travaillent encore aujourd’hui sur l’élaboration l’étude d’armes chimiques ou bactériologiques), on entend invariablement cette réponse : « mais cela va supprimer bon nombre d’emplois, créer une situation de crise économique sans précédent ». Lorsqu’on parle de supprimer les abattoirs, de revenir à une consommation plus raisonnée de viande pour le bien de la planète, des animaux, et des habitants humains « mais cela va supprimer bon nombre d’emplois, créer une situation de crise économique irréversible ». La comparaison est parfaite. Qu’il s’agisse de guerre, de santé, d’écologie, on retrouve toujours la même barrière : celle de l’économie toute puissante, écrasante. En la matière, il n’est pas si difficile de voir qu’il sera toujours question de l’Occident contre le reste du monde, comme l’indiquent les parts budgétaires des Nations Unies (ONU), grande puissance « pseudo-éthique » de la planète, réparties comme suit : États-Unis (22 %), le Japon (10,833 %), la France (8,593 %), l’Allemagne (7,1741 %), le Royaume-Uni (5,179 %), la République populaire de Chine (5,148 %), l’Italie (4,448 %), le Canada (2,984 %), l’Espagne (2,973 %) et le Brésil (2,934 %). (Source, Guide de la documentation des Nations Unies – Budget ordinaire,‎ 2014 (consulté le 15 mars 2015)).

« Le genre d’avenir qui nous attend dépend de ce que nous ferons, de comment nous réagirons à cette horrible provocation (le 11 septembre), de comment nous verrons notre histoire actuelle à l’échelle de celle de l’humanité. Tant que nous penserons avoir le monopole du « Bien », tant que nous parlerons de notre civilisation comme de la civilisation en ignorant les autres, nous ne seront pas sur la bonne voie. »

Un livre qui donne de l’espoir, parce qu’il est juste de croire qu’on peut inventer un monde meilleur et donner une autre réponse à la violence dès maintenant. Il n’est peut-être pas trop tard pour éveiller les consciences et inventer tous ensemble une manière d’être au monde et de vivre ensemble, en paix. Pour cela, il faudra faire des concessions : la prévalence de l’économie en fait partie. Lettres contre la guerre est l’ouvrage d’un homme sage, qui a su observer le monde et les hommes avec les yeux de la réflexion, loin de toute pensée prémâchée. Ca fait du bien, c’est une réelle découverte.

Lettres contre la guerre, Tiziano Terzani, Intervalles, Novembre 2015, 160 pages, 12 euros.

Vous pouvez acheter le livre sur le site de l’éditeur ici : http://www.editionsintervalles.com/catalog/lettres-contre-la-guerre/

Ensuite aller lui dire merci sur Twitter : @intervalles

Ou encore sur Facebook : https://www.facebook.com/EditionsIntervalles/

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